FANTASMAGORIES



Le vin de Betixa

Si ce soir là il se confond tout à fait parmi les citadins venus peupler le cabaret, Betixa devine que derrière son élégance des grands jours se cache un être bien plus véritable. À peine s’est-il approché qu’elle sent son authenticité. Une nature ardente, timidement grimée. Comme un soupçon de vétyver de Java mêlé à d’autres fragrances qui chercheraient à masquer un puissant et rustique parfum de terre. La danseuse lit dans l’expression de ses gestes la force de paysages entiers. Cet accoutrement de boulevardier n’a de raison que de déguiser le fabuleux en banal.

 

L’homme l’intrigue. Betixa l’invite donc à boire en sa compagnie et, fine buveuse, décide du vin. Les premières impressions qu’elle se fait de l’inconnu la poussent à choisir un Gigondas. Une robe sombre, brillante de ses rubis de nuit, un nez promettant des cerises mûres et délicatement poivrées. Alors qu’ils portent leurs verres aux lèvres, elle s’imagine déguster celui qu’elle écoute. Un succulent bouquet d’arômes flatte ses papilles, des fruits profonds empruntant à la terre des notes presque fumées. Il lui raconte les raisons de son voyage mais elle sait qu’il ment. La coloration grave de sa voix raconte une tout autre histoire. Peu importe. Elle décèle en lui une vérité qui vibre, qui résonne et la fait presque trembler.

 

 

Bientôt ils ne se parlent plus qu’avec les yeux. La prenant par la main, son regard s’illumine. Betixa le suit dans une alcôve au fond du cabaret et, sans plus attendre, lui offre sa bouche. Le désir court en elle comme de l’eau vive. Tout est si inné. La danseuse ne se laisse que très rarement mener mais l’attraction de ses doigts sur sa peau finit par balayer ses derniers scrupules. Elle décide alors d’offrir à l’inconnu, qu’elle jurerai être vigneron dans le Vaucluse, le goût obsédant de son fruit défendu.


Réminiscences

Il est des souvenir sans fin, aussi prégnants que de puissants parfums. Des images et des sons lointains, qui mêmes à mille lieues restent voisins. Il est des pensées impossible à annihiler, des réminiscences totales. Des sensations, des désirs et des pulsions à libérer. Rien que ne puisse faire la morale.

 

Son regard suivait la libre course de sa main, longeant ses courbes du ventre, du nombril jusqu’au bassin. Traître, le tissu de la culotte révélait l’endroit de ses lèvres humides. Ne voulant rien laisser transparaître, elle abusait de son air faussement timide.

Sa paume remontait l’intérieur d’une cuisse, lentement, avant de recouvrir son pubis. Elle sentait bientôt ses doigts se rapprocher, puis comme magnétisés, épouser les courbes de sa vulve trempée.

Il la caressait en cachant sa hâte, presque lascivement, devinant les contours de son sexe enflé et vibrant. En proie au naturel, son corps en ses recoins les plus charnels cherchait comme à faire exploser les mailles de ses effets personnels. Il sentait l’intérieur de ses cuisses bouillonner. Sans doute était-elle impatiente d’être découverte, effleurée, explorée…

Elle s’en fichait que sa culotte puisse être mouillée. Elle s’en foutait même que son impérieuse envie puisse l’inonder, la submerger. La noyer.

Plus il pressait la pulpe de ses doigts contre ses lèvres et plus la culotte s’imbibait de nectar, de passion, de fièvre. Son bas-ventre voulait engloutir les doigts qui le provoquaient… Mais ce traître et malheureux tissu de coton l’en empêchait. Sa main était désormais presque immobile. Elle se frottait entièrement contre lui, presque fébrile.

Elle se dévêtit, trop impatiente d’être effeuillée. Elle ouvrit alors ses jambes pâles. Du bout des doigts elle libéra délicatement ses lèvres rosés. Douces et fragiles pétales. Approchant son visage enfin, lui vint d’étourdissant parfums. Des odeurs de miel et d’épices lointains, des saveurs dont il ne savait encore rien…

 

Il est des pensées impossible à annihiler, des réminiscences totales. Des sensations, des désirs et des pulsions à libérer. Rien que ne puisse faire la morale.

 


Belle & bête

Exercice d'écriture contrainte

La belle avait pourtant senti éclore en elle l’amour pour cette bête. Quelque chose de vrai, de profond, un sentiment presque immortel. Elle croyait voir en ses yeux nacrés le reflet de la bonté, la couleur du respect. Elle était convaincue d’être à la hauteur de son clair-obscur. 

Car la bête avait sa part sombre. Même si elle faisait part de délicatesse aux premières lueurs, lui préparant des tisanes de bergamote, lui apportant au lit des croissants au beurre… Elle pouvait être féroce une fois la nuit tombée. Et cette dualité excitait la belle. Elle se complaisait dans sa douceur le jour et s’abandonnait à ses étreintes frénétiques la nuit. Elle s’accrochait alors à son ivresse, montant les chevaux de ses désirs et s’offrant tout à lui.

Mais arriva le jour où le charme de la bête s’envola. Il ne lui restait plus que sa violence lourde. La belle le laissait encore venir à elle mais rien que de l’embrasser, la beauté se figurait être la proie. Insignifiante, naïve et dévolue à sa bêtise. La bête, devenue créature, la déshabillait mais elle ne frissonnait plus. Elle sursautait presque de se sentir effleurée. Se laissant malgré tout pénétrer, la belle se rendit compte que son membre n’était plus qu’un vilebrequin la perforant. Cette bête n’était plus qu’un vil requin la dévorant. Une dernière fois la bête vint en elle. Mais les volutes du plaisirs s’étaient à jamais évaporées. Le miroir était brisé. 

Aux yeux de la belle, il était devenu plus bête que sauvage. Il n’était pas bon, juste un peu con. Très con. Trop con. Ce naze était plus désagréable qu’une douleur anale, plus dérangement qu’un redressement fiscal, plus insupportable qu’une occlusion intestinale… 

La peur s’engouffrait bientôt au plus profond de la créature. Si cette dernière avait maintes fois eu l’impression d’être la girouette sentimentale de la belle, elle se sentait à présent comme un simple penon au cœur de l’ouragan. 

La reine, la belle, la belle reine, n’en voulait plus. La bête n’était donc plus.


Banc public

Attendant qu'un inconnu débarque, sa robe flotte dans la grâce du vent. Étendue sur le banc du parc, offerte aux yeux des passants, elle feint l'endormissement et laisse aux regards curieux entrevoir des dessous voluptueux.

Enfin... Elle sent un frémissement. 

Les caresses de plusieurs mains, généreuses et capables de finesse, dessinent sur elle un chemin allant des chevilles jusqu'en haut des fesses.

À la merci de tous les vices, elle se laisse visiter comme un musée. Elle ondule de tout son corps amusé puis se tort encore puis encore jusqu'à ce qu'enfin elle jouisse.


Le cap

Exercice d'écriture contrainte

Maintenir le cap tout l'été était l'un de ses paris. Vivre la fête, embrasser les excès, tutoyer la déraison et rien ne s'interdire. Au risque d'en perdre la tête. 

 

C'est à Lorient qu'il fallait à présent retourner. Cette ville qui lui avait tant joué de tour. Ce vaste port où s'étaient si souvent échoués ses états d'âme. Après deux nuits enfumées au fond des rades, entre quelques danses improvisées et de nombreuses réjouissances arrosées de bières, son corps et son  esprit étaient à la merci du plus moindre des hasards. Ce fut l'une de ses dernières rencontres qui finit par l'accompagner sur le chemin du retour. 

La route était longue tant chacun tanguait d'un bout à l'autre des nombreuses rues. À l'arrière de sa voiture, que la chaleur d'un début de mois d'août faisait passer pour un sauna, leurs propre vapeurs d'alcool sembla enfin les assommer. Le temps n'existait plus. Tout flottait. La lumière, les sons de tambours au loin. Tout était confus dans un mélange aussi déroutant que merveilleux. Était-ce en rêve que l'autre se collait tout contre son corps ? L'ambiguïté grandissait à mesure que son bassin s'approchait du sien. À sa grande surprise, cela lui plaisait. Peut-être était-ce la fatigue, ou bien des envies trop longtemps ravalées ou tout simplement l'esprit de Lorient. Ses fesses répondirent alors à ses timides à coups par quelques ondulations, l'invitant à se rapprocher. Bientôt des doigt intrus fouillaient ses poches au plus près de son corps, comme pour chercher des clés ou un briquet. Les gestes tremblants trahissaient un désir longtemps réprimé, comme une impatience maladroite. Ses mains inconnues l'explorait nerveusement, prenant possession de toute son enveloppe charnelle, voulant la consommer, la dévorer... 

 

Le soleil était maintenant haut dans le ciel mais les brumes de la veille étaient loin d'être dissipées. Était-ce un rêve ou la réalité ? Nul ne le saurait jamais.


L'impie

Exercice d'écriture contrainte

Cet oiseau de malheur, que la queue bleue accable, n'a pour unique souci que ses sous si précieux. Sa cour est uniquement peuplée de leurres. Des êtres sans chaleur n'admirant que le piètre reflet de leur pâleur. Alors quand il s'agit de louanger la pie, la plus noble de ses prétendantes est toujours à l'heure. Mais cette impie qu'il côtoie, un jour, lui ôtera la vie. 

C'est bien là ce qui m'excite : que cet égoïste volatile cesse enfin d'exister. Qu'il passe l'éternité dans des vapeurs d'ether. Qu'il tombe dans l'oubli, dans l'enfer des songes obliques. Qu'il pourrisse sans fin au fond d'un grand cratère avec pour unique distraction que de se remémorer la saveur qu'a la terre.